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Critères du Takfir : Accuser un musulman de mécréance

Question: 85102

Nous espérons que vous nous clarifierez les critères qui nous permettent de juger qu’une personne est soit hypocrite, soit mécréante car nous ne voulons pas tomber dans les erreurs commises par beaucoup d’autres (dans ce domaine). Quel ouvrage me recommandez-vous au nouveau étudiant que je suis?

la réponse

Louange à Allah. Bénédiction et salut soient sur le messager d'Allah. Cela étant:

Premièrement, il ne nous revient pas de prendre la décision d’accuser quelqu’un de mécréance (Takfir) ou de perversité (Tafsiq). Cela revient plutôt à Allah Très-Haut et Son Messager (Bénédiction et salut d'Allah soient sur lui). C’est du domaine des dispositions religieuses puisées dans le Livre et la Sunna. Il est donc impératif de s'assurer de la validité de ces jugements avec la plus grande prudence. Ainsi, on ne déclare mécréant ou pervers que celui dont le Coran et la Sunna ont prouvé la mécréance ou la perversité.
À l’origine un musulman intègre est celui qui en affiche l’apparence en permanence jusqu’au moment où un argument religieux permet de décider du contraire.

Il ne faut pas faire preuve de laxisme en déclarant un musulman mécréant (Kaafir) ou pervers (Faassiq), car cela comporte deux graves interdictions religieuses :

  1. La première : proférer un mensonge contre Allah, le Très-Haut, dans le jugement, et contre la personne jugée dans l’accusation qu’on a portée contre lui.
  2. La seconde : tomber soi-même dans ce dont on a accusé son frère, si celui-ci en était indemne.

Sous ce rapport, on lit dans les Sahih d’Al-Boukhari (6104) et de Muslim (60) un hadith rapporté de Abdallah Ibn Omar (Qu'Allah soit satisfait de lui et de son père) selon lequel le Prophète (Bénédiction et salut d'Allah soient sur lui) a dit : « Quand un homme accuse son frère (dans la religion) de mécréance, l’un des deux va l’encourir. » Selon une autre version : « Soit il est tel qu'il a dit, soit cela lui revient. »

Deuxièmement, avant de juger un musulman comme étant mécréant ou pervers, il est impératif d'examiner deux choses :

  • La première : une indication claire du Coran ou de la Sunna que cette parole ou cette action entraîne la mécréance ou la perversité.
  • La seconde : l'application de ce jugement à la personne qui a prononcé la parole ou accompli l'acte en question, de sorte que les conditions de la déclaration de mécréance ou de perversité soient remplies à son égard, et que les empêchements soient levés.

Parmi les plus importantes conditions exigées pour déclarer la mécréance d’un musulman :

1. Qu'il ait pleine connaissance de la transgression l'ayant rendu mécréant ou pervers, conformément à la parole Allah, le Très-Haut, Qui dit : « Et quiconque fait scission d’avec le Messager, après que le droit chemin lui est apparu et suit un sentier autre que celui des croyants, alors Nous le laisserons comme il s’est détourné, et le brûlerons dans l’Enfer. Et quelle mauvaise destination ! » (Coran : 4/115) et Sa parole : « Allah n’est point tel à égarer un peuple après qu’Il les a guidés, jusqu’à ce qu’Il leur ait montré clairement ce qu’ils doivent éviter. Certes, Allah est Omniscient. » (Coran : 9/115).

Voilà pourquoi les ulémas disent : « Le néophyte qui rejette une prescription obligatoire ne redevient pas mécréant jusqu’à ce qu’on la lui explique. »
2. Figure parmi les éléments qui empêchent le Takfir (déclarer quelqu'un mécréant), il y a le fait que ce qui cause la mécréance ou la perversité survienne sans sa propre volonté.

Ce qui se présente sous différentes formes :

  • L'une d'elles est qu'il le fasse sous la contrainte, et non par conviction personnelle. Celui-là ne devient pas mécréant, compte tenu de la parole d’Allah le Très-Haut : « Quiconque renie Allah après avoir cru... - sauf celui qui y a été contraint alors que son cœur demeure plein de la sérénité de la foi - mais ceux qui ouvrent délibérément leur cœur à la mécréance, ceux-là ont sur eux une colère d'Allah et ils ont un châtiment terrible. » (Coran : 16/106)
  • Une autre forme consiste dans le fait de tomber dans une perplexité due à un débordement de joie, de tristesse ou de peur, etc. La preuve en est déduite d’un hadith cité dans le Sahih de Muslim (2744) et rapporté par Anas ibn Malik (Qu’Allah soit satisfait de lui) selon lequel le Messager d’Allah (Bénédiction et salut d'Allah soient sur lui) a dit : « Certes Allah est plus heureux du repentir de Son serviteur que l’un d’entre vous dont la monture s’échappe dans une terre désertique, emportant avec elle sa nourriture et sa boisson. Désespéré, il finit par s’allonger à l’ombre d’un arbre en ayant perdu l’espoir de la retrouver. Alors qu’il se tient ainsi, voilà sa monture qui se présente devant lui. Il la saisit alors par son mors, puis a dit, fou de joie : ”Ô Allah ! Tu es mon serviteur et je suis Ton seigneur !” Il s’est trompé à cause de l’intensité de sa joie. »

3. Figure encore parmi les éléments qui empêchent le Takfir, le fait que le jugé s’arme d’une interprétation (personnelle). Autrement dit, qu’il est en bute à des ambiguïtés auxquelles il s’accroche parce qu’il les prend pour des arguments. Il se peut encore qu’il soit incapable de comprendre correctement l’argument religieux. Ainsi, le Takfir ne peut avoir lieu qu'avec la certitude d'une infraction délibérée et la disparition de l'ignorance.

C’est à ce propos qu’Allah, le Très-Haut, dit : « Nul blâme sur vous pour ce que vous faites par erreur, mais (vous serez blâmés pour) ce que vos cœurs font délibérément. Allah, cependant, est Pardonneur et Très Miséricordieux. » (Coran : 33/5)

Dans Madjmou’ Al-Fatawa, l’imam Ibn Taïmiyya  (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) a dit : « L’imam Ahmed a imploré la miséricorde divine pour eux (les califes, influencés par les thèses Djahmites selon lesquelles le Coran est une créature, et ont soutenu cette idée) Il a agi ainsi parce qu’il était sûr que lesdits califes ne savaient pas certainement que leur attitude revenait à démentir le Messager (Bénédiction et salut d'Allah soient sur lui) et à rejeter son message. Ils étaient les victimes d’une interprétation erronée pour avoir suivi ceux qui leur avaient professé cette idée. »

L’imam Ibn Taïmiyya  (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) poursuit dans Madjmou’ Al-Fatawa (12/180) : « S’agissant du Takfir, l’avis juste le concernant est que quand un membre de la Oumma de Mohammed (Bénédiction et salut d'Allah soient sur lui) déploie un effort d’interprétation personnel pour atteindre la vérité puis se trompe, il ne tombe pas dans la mécréance. Bien au contraire, on lui pardonne sa faute. Quant à celui qui tout en ayant une claire connaissance du message du Messager (Bénédiction et salut d'Allah soient sur lui), s’oppose à lui après la connaissance de la bonne guidée et suit un chemin autre que celui des croyants, celui-là est mécréant. Celui qui se livre à sa passion et commet une négligence dans la recherche de la vérité et s’exprime sans posséder le savoir requis, est un pécheur désobéissant. Il peut même devenir pervers (Fassiq). Il se peut aussi qu’il ait déjà accompli de bonnes œuvres qui l’emportent sur ses mauvaises actions. »

L’imam Ibn Taïmiyya  (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) dit dans ses Fatawas (3/229) : « Ceci, alors même que, et quiconque me fréquente le sait, je suis l'une des personnes les plus fermes à interdire que l'on attribue à quelqu'un en particulier la mécréance, la perversion ou la désobéissance. Sauf si l'on est certain que l'argumentation prophétique a été établie contre lui, argumentation dont la transgression rend parfois la personne mécréante, parfois perverse, et parfois désobéissante.

Je confirme qu'Allah, le Très-Haut, a pardonné à cette communauté ses erreurs, et cela englobe les erreurs qu’elles soient liées aux les questions doctrinales verbales (c'est-à-dire les questions du monde invisible - Al-Ghaïb) ou aux questions pratiques. Les pieux prédécesseurs n'ont cessé de débattre sur un grand nombre de ces questions, et pourtant, aucun d'entre eux n'a attesté de la mécréance, de la perversité ou de la désobéissance de quiconque… »

L’imam Ibn Taïmiyya (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) cite des exemples avant de poursuivre : « Et je ne cessais d'expliquer que ce qui a été rapporté des pieux prédécesseurs et des imams concernant la généralisation de l'affirmation de mécréance à l'encontre de celui qui dit ceci ou cela, est également juste. Cependant, il est impératif de faire la distinction entre l'affirmation générale et l'application à une personne déterminée. »

Plus loin, il a dit : « Le Takfir relève de la Menace Divine. En effet, même quand une parole revient à démentir ce qu’a dit le Messager (Bénédiction et salut d'Allah soient sur lui), il se peut que celui qui l'a prononcée est d’une conversion récente à l’Islam ou ait grandi en brousse. Un telle contestation n’entraîne pas la mécréance de son auteur à moins qu’une preuve n’établisse sa mécréance. Il se peut aussi que son auteur n’ait pas entendu ces textes-là (reçus du Prophète) ou qu’il les ait entendus sans en reconnaitre l’authenticité, ou bien encore qu'il ait une autre preuve qui s'y oppose et qui l'a poussé à les interpréter, même s'il s'est trompé.
J'ai toujours rappelé le hadith rapporté dans les deux Sahih (Al-Boukhari et Muslim) concernant l'homme qui a dit : "Quand je mourrai, brûlez-moi, puis pulvérisez-moi, et dispersez-moi dans la mer. Par Allah, si Allah me saisit, Il me châtiera d'un châtiment qu'Il n'a infligé à personne d'autre dans les mondes." Ils ont procédé ainsi avec lui. Alors Allah a dit : "Qu'est-ce qui t'a poussé à faire cela ?" Il a répondu : "Ta crainte." Alors, Allah lui a pardonné

C'était un homme qui a douté de la puissance d’Allah et de sa capacité à le ressusciter s'il était dispersé en poussière. Il a même cru qu'il ne serait pas ressuscité, ce qui est de la mécréance selon l'accord des musulmans. Cependant, il était ignorant et ne le savait pas. Il était croyant et craignait qu’Allah, le Très-Haut, ne le châtie, alors Allah, le Très-Haut, lui a pardonné pour cela.

Celui qui déploie un effort personnel d’interprétation tout en restant soucieux de suivre le Messager (Bénédiction et salut d'Allah soient sur lui) est plus digne du pardon (de telles fautes). » Tiré de la conclusion d’Al-Qawa’ïd Al-Mouthla par Cheikh Ibn Otheïmine (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) avec quelques ajouts.

Et si la question du Takfir est d’une telle importance et gravité, et que le danger et l'erreur y sont si grands, alors il est obligatoire pour le chercheur du savoir, surtout s'il est débutant, d'éviter de s'engager dans ce domaine, et de s'occuper plutôt d'acquérir le savoir utile qui améliorera sa vie d'ici-bas et son au-delà

Troisièmement, avant de vous recommander des livres, nous vous conseillons de chercher la connaissance auprès des ulémas de la Sunna. C'est la voie la plus facile et la plus sûre. Cependant, il est essentiel que la personne auprès de qui vous apprenez soit digne de confiance quant à sa science, sa religion, son adhésion à la Sunna et son éloignement des passions et des innovations.

L’imam Mohammed Ibn Sirine (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) a dit : « Certes, ce savoir traite de la religion. Aussi, examinez bien auprès de qui vous allez apprendre votre religion. » (Cité par Muslim dans l’introduction de son Sahih).

Si vous ne pouvez pas assister aux cours des savants là où vous êtes, vous pouvez alors utiliser leurs enregistrements. Il est aujourd'hui plus facile de les obtenir via des CD ou des sites web islamiques, louange à Allah. Ensuite, vous pouvez également bénéficier de l'aide de certains étudiants en science religieuse qui sont désireux d'acquérir la connaissance islamique et de suivre la Sunna ; il est rare de ne pas en trouver, si Allah le veut.

Quatrièmement : Voici une sélection d'ouvrages essentiels à acquérir, à étudier et à approfondir :

- Pour le Tafsir (Exégèse Coranique), nous vous recommandons les ouvrages suivants :

  • Tafsir Ach-Cheikh Ibn Sa'di
  • Tafsir Ibn Kathir

- Concernant le Hadith, penchez-vous sur :

  • Al-Arba’oune An-Nawawiyya accompagnés de l'une de ses explications.
  • Djami' Al-'Ouloum wa Al-Hikam d'Ibn Rajab.
  • Riyadh As-Salihine (Les Jardins des Vertueux). Accordez une attention particulière à ce livre béni. Pour une meilleure compréhension, vous pouvez consulter l'explication du Cheikh Ibn Otheïmine (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde).

- Pour la 'Aqida (la croyance), étudiez :

  • Kitab At-Tawhid (Le Livre de l'Unicité) du Cheikh Mohammed Ibn Abdelwahhab, avec une explication simplifiée.
  • Al-'Aqida al-Wasitiyya de Cheikh Al-Islam Ibn Taïmiyya.

De plus, ces épîtres utiles sur ce sujet sont à considérer :

  • Tahqiq Kalimat Al-Ikhlas d'Ibn Radjab.
  • At-Tuhfa Al-'Iraqiyya fi Al-A'mal Al-Qalbiyya d'Ibn Taïmiyya.

N'hésitez pas à vous aider des écrits d'Ibn Al-Qayyam (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde), tels que Zad Al-Ma'ad  ainsi qu’un bon nombre de ses autres livres, comme Al-Wabil As-Sayyib et Ad-Daâ wa Ad-Dawaâ .

Cette liste est un point de départ. En poursuivant vos lectures, surtout si vous trouvez quelqu'un pour vous aider à lire et à comprendre, votre connaissance des livres utiles et importants pour vous augmentera progressivement, si Allah le veut.

Et Allah, le Très-Haut, sait mieux.

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Islam Q&A